Contexte local
Le jugement du 13 décembre 2018 du Conseil des prud’hommes de Troyes a été rendu sans que l’employeur comparaisse devant le tribunal. L’entreprise attaquée par un ancien cadre s’est déclarée en faillite. Le liquidateur de la faillite s’est abstenu de contredire les arguments de l’ancien cadre licencié. Selon les antécédents examinés par le jugement, le cadre licencié avait été auparavant le patron d’une société vendue à l’entreprise qui l’avait embauché comme condition de la vente.
La convention no 158 de l’OIT et l’article 24 de la Charte Sociale Européenne
Le conseil des prud’hommes se réfère dans son jugement exclusivement à la dernière partie de l’article 10 de la convention no 158 sur le licenciement, adoptée en 1982 par l’Organisation internationale du Travail, qui stipule que les tribunaux, en cas de licenciement injustifié, « devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ». La convention ne définit pas ce qui doit être considérée comme une indemnité « adéquate » ou bien une réparation « appropriée ». Chaque pays choisit la manière de définir la nature et le montant de l’indemnité « adéquate » et de la réparation « appropriée ».
L’article 24 de la Charte Sociale Européenne a repris le principe énoncé à l’article 10 de la convention no 158 de 1982. A l’article 24, alinéa b) de la Charte Sociale Européenne il est dit que « en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître … le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».
Le conseil des prud’hommes reprend à son compte l’interprétation que fait le Comité Européen des Droits Sociaux de l’article 24 de la Charte Sociale Européenne lequel a considéré que la législation finlandaise fixant un plafond de 24 mois d’indemnisation serait contraire à la Charte.
Les décisions du Comité Européen des Droits Sociaux sur la Finlande (article 24 de la Charte)
Le Comité européen a examiné la conformité de la loi finlandaise avec l’article 24 de la Charte en trois opportunités[1]. En 2008, le comité européen a considéré que : « Pour être jugée suffisante, l’indemnisation doit comprendre le remboursement des pertes financières subies par le salarié entre la date du licenciement et la décision de l’organe de recours appelé à statuer sur la légalité du licenciement, la possibilité de réintégration et/ou des indemnités qui soient suffisamment dissuasives pour l’employeur et proportionnées au dommage subi par la victime ».
Malgré la défense du gouvernement finlandais, le Comité a, dans ses conclusions adoptées en 2012, continué à développer le texte de l’article 24 de la Charte de cette manière: « Tout plafonnement de l’indemnisation qui pourrait avoir pour effet d’empêcher que les indemnités soient en rapport avec le préjudice subi et soient suffisamment dissuasives est à proscrire. Si les indemnités pécuniaires sont plafonnées, la victime doit avoir la faculté de réclamer des dommages-intérêts au titre du préjudice moral par d’autres voies juridiques (en invoquant, par exemple, la législation antidiscriminatoire), et les juridictions ayant compétence pour octroyer des indemnités à raison du préjudice moral et matériel doivent statuer dans un délai raisonnable ».
En 2016, le comité a maintenu que « les plafonds d’indemnisation peuvent être insuffisants dans certaines situations pour couvrir le préjudice subi ».
L’article 10 de la convention no 158 à l’OIT
L’article 10 de la convention no 158 n’interdit pas le plafonnement éventuel des indemnités de licenciement. La Finlande a ratifié la convention no. 158, le gouvernement et les partenaires sociaux présentent régulièrement ses rapports et observations à la commission d’experts en application des conventions et recommandations, l’organe chargé d’assurer l’effectivité des conventions ratifiées. Les demandes directes qui accompagnent les rapports de la commission d’experts publiés en 2012 et en 2017 n’ont pas indiqué qu’il y avait une quelconque disposition de la législation finlandaise qui présenterait une difficulté à l’égard de l’article 10 de la convention no. 158.
Contrairement au domaine du Code européen de la sécurité sociale où des rapports historiques, fructueux et suivis ont été établis entre le Conseil de l’Europe et l’OIT, il n’existe aucune coordination entre le travail de la commission d’experts de l’OIT et celui du comité européen sur les dispositions relatives au licenciement.
Le plafonnement des indemnités selon le conseil des prudhommes de Troyes
Le conseil des prudhommes développe deux arguments qui relèvent purement d’une interprétation locale de la législation nationale et de la convention no 158.
Le jugement considère que le barème fixé par le nouveau code du travail est contraire à l’article 10 de la convention no 158 car, d’une part, « l’article L1235-3 du Code du travail, en introduisant un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales, ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi », et d’autre part, « ces barèmes ne permettent pas d’être dissuasifs pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié. Ces barèmes sécurisent d’avantage les fautifs que les victimes et sont donc inéquitables ».
Le conseil des prudhommes juge que les dispositions spécifiques du code du travail ne permettent pas de réparer le préjudice subi par le travailleur injustement licencié et que les barèmes établis par la législation ne sont pas suffisamment dissuasifs pour l’employeur. Il en déduit que ces dispositions violent (l’article 24) de la Charte Sociale Européenne et (l’article 10) de la convention no 158.
Pour conclure sur la convention no 158
La convention no 158, adoptée dans le cadre de la seule organisation tripartite universelle, contient des règles générales. Dans un autre contexte national, les tribunaux pourraient soutenir le contraire de ce qui affirme le conseil des prudhommes, sans contredire la convention no 158.
Pour justifier son jugement, le conseil des prudhommes n’pas hésité à calquer ses arguments pour se prononcer sur la législation française, sur ceux du Comité Européen des Droits Sociaux concernant la Finlande.
Pour renforcer son raisonnement, le jugement a considéré qu’il fallait aussi se prévaloir de la convention no 158, instrument en vigueur dans 35 pays.
L’argument consistant à s’appuyer sur l’article 10 de la convention no 158 pour écarter le barème d’indemnisation de la loi française est donc faible.
Si les circonstances du licenciement, comme semble avoir été le cas dans cette affaire, montrent un préjudice allant au-delà de celui du salarié licencié (ancien patron, vente à bas prix, promesse d’embauche à trois ans) la personne lésée doit pouvoir avoir un recours auprès d’autres tribunaux que ceux du travail (notamment le tribunal de commerce).
[1] https://hudoc.esc.coe.int/eng#{%22ESCDcIdentifier%22:[%222016/def/FIN/24/FR%22]}
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