Dans deux notes publiées en mars et en avril, j´avais anticipé les orientations qui pourrait prendre la Cour de Cassation lors de l´examen des décisions des conseils des prud´hommes en relation avec l´article 10 de la convention no 158 et de l´article 24 de la Charte Sociale Européenne révisée.
Mes intuitions ont été confirmés par les avis du 17 juillet 2019 sur le barème d´indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Afin de contribuer aux débats et illustrer les conclusions du premier Avocat général (les conclusions) je partage quelques indications, qui ressortent des documents du BIT.
Les conclusions ont d´abord affirmé que les dispositions de l´article 24 de la Charte Sociele Europénne Révisée ne sont pas directement invocables devant une juridiction judiciaire française.
… Plus généralement, la convention n°158 de l’OIT n’a fait l’objet d’aucune réserve…
On lit dans les conclusions :
[…] « Plus généralement, la convention n°158 de l’OIT n’a fait l’objet d’aucune réserve, tant par le pouvoir exécutif que le pouvoir parlementaire, sur son caractère d’applicabilité directe au cours des débats ayant précédé l’adoption de la loi de ratification du 30 décembre 1988, les parlementaires ayant considéré que la législation française était largement en concordance avec ce texte. »
Dans la tradition de l´OIT, les réserves ne sont pas admises par les conventions internationales du travail. Dans le paragraphe 25 du manuel des procédures sur les conventions et recommandations internationales du travail, il est dit que :
Les conventions contiennent diverses dispositions assurant de la souplesse […]; certaines autorisent expressément les Etats qui les ratifient à limiter ou à spécifier les obligations assumées du fait de la ratification […]. Toutefois, à l’exception des limitations des obligations expressément prévues dans une convention, aucune ratification avec réserves n’est possible (Voir le mémorandum soumis par le BIT à la Cour internationale de Justice, Affaire des réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (BIT: Bulletin officiel, vol. XXXIV, no 3, 1951, pp. 275-315)).
Le caractère directement applicable des dispositions de la convention no 158 a été confirmé par la Cour de Cassation dans son avis.
… la convention 158 n´a pas été ratifiée que par 36 pays (dont un l´a ensuite dénoncée) [note 45].
Le Brésil a ratifié la convention no 158, le 5 janvier 1995, à la fin du gouvernement d´Itamar Franco (1993-1995). Fernando Henrique Cardoso, le nouveau président, le 20 novembre 1996, a dénoncé la convention no 158, suite au mouvement syndical qui s´est déclenché contre les licenciements collectifs.
Le Tribunal Superior Federal, l´autorité judiciaire suprême, a été saisi par les organisations syndicales qui ont contesté la constitutionalité de l´acte de dénonciation. L´autorité judiciaire n´a toujours pas rendu son avis sur la conformité de l´acte de dénonciation de la convention no 158 avec la Constitution nationale.
En février 2008, le Président Lula da Silva avait soumis la convention no 158 au Congrès national en vue de sa ratification, sans obtenir un consensus favorable au niveau parlementaire.
[note 45]… une des plus controversées de l´OIT…
La note 45 des conclusions se lit ainsi : « Et cette convention est l´une des plus controversées de l´OIT, selon le compte rendu des travaux de la commission de l´application des normes de la conférence de 2011 ».
En effet, le paragraphe 58 du rapport de la commission de l´application des normes (100e session, juin 2011), reprend la position du Groupe des employeurs dans les termes suivants :
« En ce qui concerne la convention no 158, les membres employeurs ont rappelé qu’il s’agit d’une des conventions les plus controversées de l’OIT. Les experts employeurs de la réunion tripartite d’experts qui s’est tenue en avril 2011 ont souligné que cette convention ne représente pas un modèle universel en matière de protection de l’emploi » […].
Il ne s´agit pourtant … que « d´adopter diverses propositions »…
Après avoir rappelé que la convention no 158 est en vigueur que pour 35 pays, les conclusions affirment : « Il ne s’agit pourtant, selon le préambule de la convention, que “d’adopter diverses propositions relatives à la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur”.
Le terme « propositions » se retrouve dans le préambule de la convention no 158 et dans le préambule de toutes les conventions internationales du travail.
Le terme « propositions » a été élaboré, à Paris, en février-mars 1919, lors des travaux de la commission de la législation internationale du travail qui ont abouti à la création de l´OIT. Le terme « propositions » se trouve à l´article 405 du Traité de Paix de 1919 et il a été repris dans l’article 19, paragraphe 1, de la Constitution de l´Organisation qui stipule que certaines « propositions » insérées à l´ordre du jour de la Conférence internationale du Travail prennent la forme des conventions, conventions qui deviennent obligatoires après leur ratification.
Le rapport de la session de 1995 de la conférence
Les conclusions reprennent le paragraphe 323 du « rapport de la session de 1995 de la conférence internationale du travail sur la protection contre le licenciement injustifié ». Il s´agit de l´étude d´ensemble de de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de 1995 intitulée « Protection contre le licenciement injustifié ».
Cette étude d´ensemble a été très contestée par les représentants des entreprises à l´OIT. En attendant que le Groupe de travail tripartite du mécanisme d’examen des normes se prononce sur la convention no 158, il convient d´utiliser comme document de référence pour les instruments sur le licenciement injustifié, les documents de la réunion tripartite d’experts qui s’est tenue en avril 2011.
… réclamation contre la Slovaquie…
Les conclusions font une pertinente référence aux réclamations, soumises au Conseil d´administration de l´OIT au titre de l´article 24 de la Constitution, qui ont examiné les allégations des organisations syndicales portant sur la non application de la convention no 158. Parmi ces réclamations, les conclusions rappellent que la modification de la législation du travail introduite par le gouvernement Rajoy pour réduire les modalités de l´indemnité de licenciement en Espagne, ont été considérées conformes à l´article 10 de la convention no 158 par un comité tripartite qui a rendu son rapport en juin 2014.
Les conclusions mentionnent une « réclamation contre la Slovaquie ». Dans la liste des réclamations offerte par le site du BIT on ne trouve pas une réclamation concernant la Slovaquie en relation avec la convention no 158.
La convention no 158 pour les nuls
Les conclusions ont rappelé deux phrases qui figurent dans le rapport de la Commission d´expert publié en 2009 et dans le rapport de la réunion tripartite d´experts d´avril 2011, pour expliquer le sens de la convention. L´emphase et les italiques ont été ajoutées par l´Avocat général, et le paragraphe des conclusions se lit ainsi :
Ajoutons que l’observation générale de la Commission d’experts de l’OIT sur la convention n°158, adoptée en 2008, précise que “les principes sur lesquels la convention est fondée reflètent un équilibre soigneusement pesé entre les intérêts de l’employeur et les intérêts du travailleur”. Il s’agit à la fois de reconnaître “le droit de l’employeur de licencier un travailleur pour un motif valable”, mais aussi « de garantir le droit du travailleur de ne pas être injustement privé de son emploi ».
La deuxième phrase se trouve au paragraphe 127 du rapport de la réunion tripartite d´experts d´avril 2011, elle reprend les points de vue des experts gouvernementaux et travailleurs – les représentants employeurs n´ont pas participé au consensus.
Toutefois, le Bureau avait cherché une formule pour donner une vision synthétique des instruments sur le licenciement injustifié. Le paragraphe 287 du document de travail pour la réunion tripartite d´experts d´avril 2011 disait ainsi : « La convention (no 158) et la recommandation (no 166) sur le licenciement, 1982, visent à garantir, d’une part, le droit de l’employeur de licencier un travailleur pour un motif valable et, d’autre part, celui du travailleur de ne pas être injustement privé de son emploi. Leur but est donc d’établir un équilibre entre les intérêts de l’employeur et ceux du travailleur ».
Je tiens à rendre hommage aux juristes de l´Afrique du Sud qui ont beaucoup aidé le Bureau à élaborer ses deux phrases qui ont toute sa place dans l´avis de la Cour de Cassation. En mettant fin à l´apartheid, il a fallu établir un régime de licenciement qui respecte le droit au travail et les besoins des entreprises. C´est ainsi que l´Afrique du Sud a décidé d´incorporer les dispositions de la convention no 158 dans la législation nationale.
Les organisations syndicales françaises ont saisi le conseil d´administration d´une réclamation
Les conclusions affirment que « la Commission d’experts de l’OIT pour l’application des conventions et recommandations (CEACR) » a été saisie en 2017 par des organisations syndicales françaises de la question de la conformité à la convention 158 du système français d’indemnisation des travailleurs licenciés sans cause réelle et sérieuse.
Il aurait été plus précis de dire que deux organisations syndicales (la Confédération générale du travail – Force ouvrière (CGT-FO) et la Confédération générale du travail (CGT)) ont saisi le Conseil d´administration de l´OIT d´une réclamation, au titre de l´article 24 de la Constitution de l´OIT, soulevant, parmi d´autres allégations, la non-conformité des ordonnances avec l´article 10 de la convention no 158.
La réclamation a été déclarée recevable par le Conseil d’administration en mars 2017. Suite au départ du membre gouvernemental, le comité n´a pas repris ses travaux (situation en mars 2019). La procédure est toujours en cours.
Malgré le fait que les dernières décisions de la Cour de Cassation ont établi que les résultats de la procédure ne sont pas contraignants, la CGT et FO continuent de faire confiance à l´OIT « pour faire valoir ses arguments et aboutir à la mise en cause du barème », selon les communiqués de presse de la CGT et FO publiés après l´avis rendu par la Cour de Cassation.
… Recommandations de l´OIT, à considérer avec le plus grand sérieux, ne s´imposent ni aux Etats, ni aux juridictions…
Dans les conclusions, l´Avocat général a constaté la nécessité d´éclairer « sans délai » les juridictions françaises, en disant ainsi:
La nécessité d’éclairer sans délai des juridictions dont les réponses divergent, ne permet cependant pas à la Cour d’attendre qu’elle [la commission d´experts ?… l´OIT ?] se prononce, d’autant plus que ses recommandations, si elles doivent toujours être considérées avec le plus grand sérieux, ne s’imposent ni aux Etats, ni aux juridictions.
La Cour de Cassation considère que les recommandations des organes de contrôle de l´OIT n´ont pas d´effet contraignant.
En attendant le rapport du comité tripartite (bis)
Le comité tripartite qui examine la réclamation soumise par la CGT et FO prendra connaissance de l´avis rendu par la Cour de Cassation. On peut douter que le comité tripartite s´autorise d´aller au-delà de ce qui a été dit dans le rapport sur la réclamation contre l´Espagne.
Le comité tripartite qui avait examiné la réclamation contre l´Espagne a été sensible au fait que le Tribunal constitutionnel avait confirmé sa jurisprudence sur la constitutionalité des modifications législatives introduites aux « salarios de tramitación » prévus dans la Charte des travailleurs (décision no 43/2014 du 12 février 2014). Sur l´article 10 de la convention no 158, le comité tripartite a constaté que « Les juges espagnols continuent d’être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou d’une autre forme de réparation considérée comme appropriée dans le cas où ils parviennent à la conclusion que la rupture de la relation de travail était injustifiée » (phrase finale du paragraphe 279 du document GB.321/INS/9/4, juin 2014). Le gouvernement espagnol a été invité à « continuer de donner des informations [à la commission d´experts] sur la nature des réparations ordonnées par les décisions judiciaires ayant déclaré injustifiées des mesures de licenciement » (paragraphe 280 du document GB.321/INS/9/4).
[…] Contrariamente a lo que se pueda suponer, las altas cortes persisten en incurrir en deslices al tratar las normas internacionales del trabajo. En julio de 2019, la Corte de Casación dictó un dictamen en el que propuso la interpretación del Convenio núm. 158 sobre la terminación de la relación de trabajo, 1982 en relación con los topes a las indemnizaciones de despido impuestos por ordenanzas del Gobierno Macron. Mi lectura del dictamen identifica aquellas ocasiones en que la jurisdicción francesa se equivocó cuando entró a considerar al Convenio núm. 158 en general y al sistema de normas de la OIT en particular. El dictamen de la Casación podría desvalorizar los pronunciamientos de los órganos de control de la OIT si los tribunales los consideran como no vinculantes. Se puede consultar la nota en este link: https://natanelkin.com/2019/07/28/la-convention-158-dans-lavis-de-la-cour-de-cassation/ […]